Oui, une industrie pharmaceutique plus saine est possible
Ces dernières semaines, Pia a ému notre pays. Sa famille se bat contre les intérêts d'une grande entreprise. Tout le monde en parle et nous avons tous envoyé un sms pour participer à la récolte de fonds.
Le cas de la petite Pia nous tient particulièrement à cœur chez MSF. Le grand public ne le sait pas forcément, mais une équipe de MSF se bat depuis vingt ans déjà pour améliorer l’accès à des médicaments abordables. Parce que, malheureusement, Pia n'est pas un cas isolé. En tant que professionnels de la santé, nous sommes quotidiennement confrontés aux prix exorbitants des médicaments – des médicaments qui pourraient pourtant sauver la vie de nombreux patients dans les pays où nous travaillons.
« L’affaire Pia » a également lancé un débat fort opportun sur la notion du prix acceptable d’un médicament. Comment éviter qu'une enfant ne dépende de la générosité de son prochain pour bénéficier d’un traitement dont elle a absolument besoin pour survivre ?
Une fois de plus, d’aucuns justifient le prix élevé du Zolgensma à grands renforts d’arguments déformés et de demi-vérités. Le prix du médicament reflète son coût de développement élevé, il est finalement moins cher qu’un autre médicament, au prix encore plus exorbitant (le Spinraza), le traitement est précieux pour le patient, ce qui justifie son prix élevé, d’importantes marges bénéficiaires sont nécessaires pour financer de nouveaux efforts de recherche et développement… Autant d’arguments qui passent sous silence le fait que chaque nouveau médicament qui a été développé doit rapporter nettement plus que les médicaments déjà disponibles. En d’autres termes, une entreprise pharmaceutique qui ne fait pas monter les enchères se met hors-jeu. Bref, l’industrie pharmaceutique est elle-même malade.
Un plâtre sur une jambe de bois
Différents experts ont proposé des pistes et alternatives : étalement du prix sur plusieurs années, prise en charge du traitement par la sécurité sociale uniquement en cas d’efficacité, valeur d’une année de vie gagnée fixée par la loi…. Des solutions qui peuvent apporter un soulagement à court terme mais qui passent à côté du nœud du problème : le fait qu'une entreprise pharmaceutique puisse tout simplement décider de la vie et du bien-être du patient et abuser de ce pouvoir pour engranger un maximum de bénéfices. L'étalement du paiement d’un traitement au prix colossal ou la fixation d'un prix maximum légal n'est d'aucune utilité à long terme. Une entreprise qui refuse de proposer un traitement au prix maximum fixé met le patient – mais aussi le gouvernement – dans une impasse.
Chez MSF, nous nous retrouvons aussi souvent dans cette même impasse. L’assurance maladie n’existe souvent pas dans les contextes où nous travaillons. Nous achetons donc des médicaments avec nos propres fonds pour en faire bénéficier gratuitement nos patients. De nombreux traitements sont inabordables, ou ne sont pas forcément commercialisés dans les pays ou les régions touchés par une épidémie. Il arrive aussi que les efforts de recherche négligent des maladies qui affectent principalement les populations pauvres. Tout cela en raison d’une « logique » qui veut que les médicaments doivent rapporter un maximum, qu’importent les chances de guérison du patient en l’absence de traitement. Le manque de recherche pour certaines maladies est d'ailleurs un problème urgent. Riches ou pauvres, nous avons tous besoin de nouveaux antibiotiques efficaces, mais vu les incertitudes pesant sur leurs marges bénéficiaires, les géants de l’industrie pharmaceutique préfèrent s’en désintéresser.
Cette impasse a amené MSF à rechercher d’autres pistes, et il y en a certainement. Nous avons nous-mêmes contribué au développement de médicaments abordables par l'intermédiaire de notre partenaire DNDi. Il est en effet possible de mettre au point des médicaments efficaces et de les commercialiser à un prix beaucoup plus abordable, même s’ils sont destinés au traitement de maladies rares ou à des maladies qui touchent principalement les populations pauvres. Pour cela, nul besoin de prix et de marges bénéficiaires élevés.
Ne soyons pas dupes
Nous nous sommes surtout rendu compte que le modèle actuel d’innovation n’est plus sur la bonne voie. Ce qui stimule en premier lieu la recherche médicale, ce sont les droits monopolistiques. Ceux-ci permettent à l’entreprise pharmaceutique de fixer plus ou moins librement ses prix, avec pour conséquence des prix et des marges bénéficiaires bien trop élevés. La promesse de marges colossales est souvent considérée comme essentielle pour inciter les investisseurs à financer une recherche médicale risquée. Mais qu’en est-il vraiment ?
Le développement du Zolgensma a été en grande partie financé via le crowdfunding par les patients atteints d’amyotrophie spinale et leur famille, en France et aux Etats-Unis. Ce sont eux qui en fin de compte ont pris en charge le coût de cette recherche, financièrement risquée. Mais le Zolgensma est loin d’être une exception : de nombreux médicaments utilisés quotidiennement par MSF sont issus de recherches menées dans des universités et des institutions publiques et ont été développés avec le soutien de patients, de médecins et du secteur privé. Les marges bénéficiaires très élevées que s’octroient les entreprises pharmaceutiques ne reflètent aucunement les efforts financiers et scientifiques qui ensemble ont permis le développement de ces médicaments.
Ne soyons donc pas dupes ! En tant que citoyens et en tant que patients, nous finançons de toute façon le coût de la recherche via le prix payé pour le traitement, qui inclut aussi des marges bénéficiaires colossales.
Le succès de la campagne #TeamPia témoigne de la volonté d’un très grand nombre de contribuer à l’accès à de nouveaux traitements, sans doute en partie car nous avons bien conscience qu’un jour ou l’autre, nous serons nous aussi des patients. L'importance des marges bénéficiaires élevées pour le développement et la recherche pharmaceutique doit donc être considérablement relativisée.
Avoir le courage de s’attaquer au modèle actuel
Le secteur privé a son rôle à jouer dans le développement de nouveaux traitements et une marge bénéficiaire raisonnable est certainement justifiée. Toutefois, si nous voulons remédier au manque de recherche sur les maladies offrant peu de perspectives en termes de marges bénéficiaires et au problème des prix toujours plus élevés, nous devons avoir le courage de nous attaquer au modèle actuel. Celui-ci accorde tous les droits à une entreprise privée aux dépens de tous les autres acteurs qui financent ou contribuent à la recherche et au développement. Un modèle qui, vu l’incertitude pesant sur les marges bénéficiaires, paralyse la recherche prometteuse et laisse des patients sur la touche, pour cause de recherche du profit maximal.
Sur le plan juridique, il est parfaitement possible de limiter les droits monopolistiques des entreprises afin d'éviter les abus prenant la forme de prix exorbitants, mais cette possibilité doit être utilisée et étendue. De même, les investisseurs publics et les bailleurs de la recherche et du développement de nouveaux traitements doivent obtenir et conserver davantage de droits en ce qui concerne la politique des prix. Cette évolution ne doit pas se faire du jour au lendemain, mais il faut progressivement passer à un modèle garantissant un meilleur équilibre entre les droits privés et publics. Il est dans l’intérêt de tous de parvenir à un tel modèle.