Les médicaments ne devraient pas être un luxe: il est temps de privilégier les vies plutôt que le profit
Les prix des médicaments explosent et menacent la viabilité de nos soins de santé. Il est temps de créer des politiques durables pour la recherche et le développement (R&D) dans le secteur pharmaceutique.
Le monde est confronté à une crise en matière d’accès aux médicaments, et l’Europe ne fait pas exception à la règle. Même dans les pays à revenus élevés comme la Belgique, les médicaments vitaux sont surévalués et ne sont distribués qu’au compte-gouttes en raison de la forte pression financière qui pèse sur les systèmes de santé. Qu’il s’agisse de nouveaux médicaments pour traiter l’hépatite C, le cancer ou la mucoviscidose : partout en Europe, les patients peinent à obtenir les médicaments dont ils ont besoin à cause de l’augmentation constante des prix.
En Belgique, par exemple, l’entreprise BioMarin a récemment soudainement augmenté au prix exubérant de 400 000 euros son traitement Vimizim contre le syndrome de Morquio, risquant de le rendre complètement inaccessible aux personnes souffrant de cette maladie rare. Dans notre pays, les experts estiment que le déficit structurel du budget pharmaceutique ne cesse de croître et devrait atteindre les 500 millions d’euros cette année. C’est la viabilité même de nos systèmes de soins de santé qui est menacée par l’explosion des prix des médicaments.
Les élections européennes approchant à grands pas, une nouvelle Commission européenne verra le jour prochainement. C’est dans ce contexte que MSF appelle à la mise en place de politiques durables pour la recherche et le développement (R&D) dans le secteur pharmaceutique, afin de permettre l’accès à des médicaments à un prix abordable en Europe et au-delà.
Pourquoi est-ce si cher ?
Le prix astronomique de bien des médicaments essentiels est principalement dû aux monopoles que les compagnies pharmaceutiques détiennent sur les brevets, ainsi qu’à l’absence de concurrence susceptible de faire baisser les prix. Le prix élevé des médicaments a depuis longtemps limité l’accès de millions de personnes à un traitement essentiel et bon marché dans les pays en développement. Et pourtant, MSF a pu constater que ce n’est pas une fatalité : grâce à la concurrence, l’introduction des médicaments génériques a fait chuter le prix des antirétroviraux utilisés dans le traitement du VIH/Sida, qui est passé de 10 000 dollars par patient par an en 2000 à moins de 100 dollars aujourd’hui. Cette réduction spectaculaire des prix a permis à plus de 22 millions de personnes à travers le monde de bénéficier d’un traitement contre le VIH.
Depuis son autorisation de mise sur le marché en 2014, le Sofosbuvir, un nouveau médicament indiqué contre l’hépatite C, est toujours rationné par plusieurs gouvernements européens à cause de son prix particulièrement élevé : 20 000 € par traitement. MSF achète le même médicament à un fabricant de génériques pour 75 € par traitement. Cette disparité extrême de prix d’un fabricant à l’autre pour ce médicament essentiel montre bien le caractère arbitraire des prix fixés par les compagnies pharmaceutiques, qui ont pour seule préoccupation la maximisation des profits rendue possible par la manipulation du système des brevets.
Un coût social lui aussi exorbitant
L’octroi de brevets et d’autres formes de droits d’exclusivité est généralement défendu en invoquant la nécessité d’encourager la R&D de nouveaux outils pour la médecine. Cependant, le développement de médicaments sous un régime de monopoles engendre un coût social élevé : le prix exorbitant des médicaments sape le principe de soins de santé abordables pour tous, privant ainsi de nombreuses personnes en Europe et à travers le monde de leur accès et leur droit à la santé. De plus, le système actuel n’a pas permis d’encourager une innovation réelle, qui donnerait la priorité aux besoins les plus urgents. Les médicaments considérés comme moins rentables d’un point de vue économique - comme les antibiotiques, les médicaments contre l’Ebola ou des sérums anti-venins pour les morsures de serpent - ne figurent pas parmi les investissements prioritaires de l’industrie pharmaceutique, entraînant ainsi le décès de centaines de milliers de personnes dans les pays en développement.
Les secteurs public et philanthropique offrent une contribution substantielle à la R&D des médicaments sous la forme de subventions, d’exemptions d’impôts et de contributions en nature des instituts de recherche, des professionnels de la santé et des patients qui participent à la recherche clinique et opérationnelle. Cependant, les médicaments, qui sont pourtant le plus souvent le résultat d’une coopération entre plusieurs secteurs, restent la "propriété" exclusive des compagnies pharmaceutiques qui en détiennent le monopole, et qui en limitent l’accès en pratiquant des prix inabordables pour beaucoup.
L’université de Louvain, par exemple, a contribué dans les années 90 au développement du Tenofovir, un médicament contre le VIH, utilisé notamment par MSF. Après avoir reçu des fonds européens pour la recherche, l’université a vendu la licence du Tenofovir à la firme américaine Gilead qui l’a combinée avec l’emtricitabine, développée par l’université Emory à Atlanta. Alors que Gilead engrangeait des sommes considérables, une étude réalisée avec des fonds publics américains démontrait que la combinaison entre les deux traitements permettait également d’éviter la transmission du virus. Une découverte qui ouvre la perspective d’éradiquer complètement l’épidémie. Mais l’usage de ce traitement préventif en Europe est encore entravé en raison d’un prix artificiellement élevé : l’entreprise prolonge exagérément son monopole et le médicament n’est toujours pas remboursé dans plusieurs États membres. Ailleurs dans le monde, de nombreux patients souffrent d’infections liées au sida parce que ce traitement est hors de prix pour eux.
Vers un modèle de R&D alternatif
Afin de démontrer qu’il existe une alternative pour la R&D, MSF s’est associée à cinq autres instituts de recherche publics dans le domaine de la santé pour fonder la Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDI). L’organisation fonde son fonctionnement sur un modèle collaboratif dans lequel toutes les dépenses de la R&D sont couvertes par des donateurs publics et philanthropiques - avec de temps à autre une participation en nature de l’industrie pharmaceutique. En respectant les principes de ce modèle dans sa gestion, l’initiative est à même de fixer ses priorités en fonction des besoins de la santé publique et d’offrir ses produits à un prix à la fois viable et raisonnable. Elle a récemment lancé sur le marché un traitement entièrement par voie orale pour la maladie du sommeil, une maladie mortelle négligée, endémique en Afrique et qui a été longtemps ignorée par les compagnies pharmaceutiques.
L’explosion du prix des médicaments a suscité un tollé parmi le grand public en Europe, ce qui a donné naissance à des développements politiques encourageants. En 2016, le Conseil européen a exprimé son inquiétude quant au prix exorbitant des médicaments et a ensuite appelé la Commission européenne à effectuer une analyse des faits, afin d’évaluer la fonction et l’impact des mesures d’incitation de propriété intellectuelle sur l’accès aux médicaments en Europe. La Commission doit intensifier ses efforts et introduire des mesures concrètes pour lutter contre la pratique abusive de prix prohibitifs.
Les Européens éliront bientôt un nouveau Parlement, ce qui signifie qu’une nouvelle Commission sera nommée. C’est l’occasion pour les gouvernements européens de faire preuve d’engagement politique en chargeant la nouvelle Commission de développer et de soutenir des méthodes de R&D qui encouragent l’innovation tout en garantissant l’accès à des médicaments bon marché pour tous ceux qui en ont besoin.
Les médicaments ne sont pas développés en vase clos. Ils sont le résultat d’un effort colossal consenti par des entités publiques, philanthropiques et privées, y compris les chercheurs, investisseurs, médecins et patients, et ne devraient pas pouvoir être pris en otage par les compagnies pharmaceutiques en vue de maximiser leurs profits. Encourager une collaboration équitable entre toutes les parties prenantes, c’est le principe qui devrait être au centre de toute politique européenne dans le domaine de la R&D.
Il est grand temps de donner la priorité à la santé des patients plutôt qu’aux profits excessifs de l’industrie pharmaceutique.