MSF étend ses activités de santé maternelle dans le sud d'Haïti
Le séisme qui a secoué le département du Sud, en Haïti, en août 2021 a non seulement fait plus de 2.000 morts et 12.000 blessés, mais il a aussi détruit des dizaines de milliers d’immeubles et de bâtiments, dont de nombreux établissements de soins de santé. Le centre de soins de santé maternelle soutenu par MSF, dans la ville de Port-à-Piment, a ainsi subi des dégâts irréparables. MSF l’a reconstruit et modernisé, tout en le dotant de nouveaux services. La nouvelle structure de soins de santé, inaugurée un an plus tard, dessert une zone d’environ 250.000 habitants. Malheureusement, de nombreuses autres structures de santé du sud du pays n’ont jamais été reconstruites ou réhabilitées et l’accès aux soins est à ce point problématique que la vie de beaucoup de femmes enceintes et de nouveau-nés est toujours en danger.
Le calme qui règne dans la paisible ville côtière de Port-à-Piment contraste avec le climat de violence à Port-au-Prince. Les conséquences des troubles et de la crise qui déchirent la capitale, à 150 km à l'est de Port-à-Piment, sont pourtant bien perceptibles. Le chaos dans lequel la capitale est plongée et les violents affrontements ont en effet perturbé la chaîne d'approvisionnement, provoquant de fréquentes pénuries de médicaments et de matériel médical dans les hôpitaux et les cliniques du département du Sud. En automne 2022, Lorsque le principal terminal pétrolier du port de la capitale a été bloqué par des gangs armés, le département du Sud a dû faire face à de graves pénuries de carburant. S’ajoute à cela la fuite des cerveaux : de nombreux médecins et soignants quittent les départements plus ruraux, comme celui du Sud, pour aller travailler dans la capitale tandis que beaucoup de soignants de Port-au-Prince tentent d’émigrer pour fuir les violences. Le séisme de 2021 a encore aggravé la situation. Plusieurs organisations avaient à l’époque promis des fonds et diverses aides matérielles pour financer la réhabilitation des structures médicales endommagées. Mais les efforts de reconstruction tardent à se prendre forme et pratiquement aucune structure de soins de santé du département du Sud n’a été remise en état ou réhabilitée.
Dans cette partie du pays, le système de soins de santé est pratiquement exsangue. Matériel médical, médicaments, personnel médical, structures de soins de santé appropriées: tout manque. Et comme toujours dans un tel contexte, c’est la population qui en paie le prix, en particulier les femmes enceintes et les nouveau-nés. Avec 529 décès pour 100 000 naissances, Haïti affiche le taux de mortalité maternelle le plus élevé de tout l'Hémisphère occidental. La mortalité néonatale est également très élevée - 24 décès pour 1000 naissances. L’explication ? 64 % des femmes accouchent en-dehors de l’hôpital, ce qui peut avoir des conséquences fatales pour la mère et le bébé en cas de complications.
"Les accouchements doivent absolument se dérouler sous la supervision de professionnels de la santé. Une intervention rapide peut en effet sauver la vie de la mère et de son bébé", a déclaré Benoît Vasseur, chef de mission MSF lors de l’inauguration des nouveaux services de MSF à Port-à-Piment en février dernier. La structure, cogérée par MSF et le ministère de la santé, est désormais dotée d’une salle d'opération pour les interventions de chirurgie obstétricale, notamment les césariennes, et d’un service de néonatalogie, équipé d’une unité de soins intensifs. Le projet propose également des services d’accès à la contraception et des consultations prénatales et postnatales, et soutient six centres de santé dans des villes et villages des environs. En collaborant au sein des communautés, avec les réseaux de sage-femmes traditionnelles et de volontaires, MSF tente de lever un premier obstacle à l'amélioration des soins de santé maternelle. Les femmes doivent en effet être bien informées pour comprendre dans quelles situations et à quel moment elles doivent absolument demander de l’aide médicale.
Le village de Rendel se situe à une dizaine de kilomètres au nord de Port-à-Piment. Une équipe médicale MSF accompagnée de promoteurs de santé s’y rend une fois par semaine, traversant ce paysage montagneux en suivant le lit d’une rivière asséchée. "Rendel est l'un des six villages bénéficiant de nos visites", explique Guerline Georges, promotrice de santé MSF. "Nous expliquons aux femmes enceintes les principales causes de décès maternel pendant la grossesse et l’accouchement, comme l'éclampsie ou l'hypertension gravidique, et comment elles peuvent repérer ces symptômes à temps pour prévenir d’éventuelles complications et aller consulter rapidement".
Le village de Rendel illustre parfaitement le deuxième obstacle auquel les femmes enceintes sont confrontées : l'accès "physique" à un centre de santé lorsqu’une aide médicale est nécessaire. Le département du Sud est faiblement peuplé et certaines femmes peuvent avoir du mal à se rendre dans une structure de santé, en raison de la distance. L’état des routes laisse aussi souvent à désirer et les transports sont chers. À Rendel, le lit asséché qui sert de route se remplit à nouveau d’eau pendant la saison des pluies. Les habitantes des villages montagneux de l’intérieur du pays doivent parfois marcher six à sept heures pour rejoindre un centre de santé. Des femmes dont le travail avait commencé ont perdu la vie pendant ce trajet. Souffrant de complications obstétricales, elles n’ont pas pu rejoindre à temps une structure de soins de santé. Pour améliorer l’accès, les équipes de MSF mettent en place des comités de référencement dans différents villages, afin de mieux organiser le transport des patientes. MSF gère également un service d'ambulances, qui sont en fait des véhicules tout-terrain reconvertis en ambulances.
Alexis Leone habite à Rendel et a été confrontée à ce problème d’accès. "Il y a quatre ans, alors que j'étais enceinte de mon premier enfant, les médecins m'avaient dit que je devais me rendre à l'hôpital en cas de douleurs. Un jour où je ne me sentais pas bien, je suis allée aux consultations de Port-à-Piment, à pied. Comme ma tension artérielle était trop élevée, j’ai été transférée en ambulance dans un hôpital situé à une heure de là, où j'ai accouché... On m’a dit que j’aurais probablement perdu la vie si j'étais restée à Rendel".
Alexis doit la vie à son transfert de la structure de MSF vers l’hôpital. Malheureusement, MSF a remarqué qu’il était de plus en plus difficile d’organiser ces transferts. Les structures de soins de santé de la région ont en effet le plus grand mal à assurer des services médicaux essentiels, pour toutes les raisons décrites ci-dessus. C'est l'une des raisons pour lesquelles MSF et le ministère de la Santé ont modernisé la structure de Port-à-Piment : les patients qui devaient auparavant être transférés peuvent désormais être pris en charge sur place. Le nouveau centre peut pratiquer des césariennes et des transfusions sanguines, par exemple. Il s'agit d'une amélioration majeure pour les habitants de Port-à-Piment et des environs.
Les chiffres enregistrés dans cet hôpital, aujourd’hui bien mieux équipé, illustrent clairement l’ampleur des besoins de santé des femmes du département du Sud : en 2022, les équipes MSF ont pratiqué 700 accouchements à Port-à-Piment. Entre janvier à avril 2023, 347 accouchements ont eu lieu, dont 39 par césarienne. Au cours de la même période, 89 bébés ont été admis à l'hôpital, dont 40 dans l'unité de soins intensifs.
Cependant, dans d'autres villes et villages du Sud, comme Coteaux et Roche-à-Bateau, les structures de santé détruites n'ont pas été reconstruites. À Coteaux, le centre de santé étant toujours en ruine, le personnel soignant essaie de dispenser les soins dans un centre de formation.
Bien plus d’initiatives et d’actions sont nécessaires pour s’attaquer aux taux élevés de mortalité maternelle et néonatale. Chaque femme enceinte devrait pouvoir accoucher avec l’assistance d’un professionnel de la santé qualifié, dans une structure adaptée équipée de tout le matériel nécessaire. D'autres organisations doivent renforcer leur engagement, et avant toute chose respecter les promesses faites au lendemain du terrible séisme de 2021 et déployer davantage de fonds ainsi qu’une aide matérielle accrue pour financer le recrutement de travailleurs de la santé dans les zones reculées. C'est la seule façon d'améliorer structurellement les chances de survie des femmes enceintes dans le sud-ouest d'Haïti.