Méditerranée centrale: Les gouvernements européens doivent cesser de marchander des vies humaines
A la suite de la décision inacceptable du gouvernement italien de fermer ses ports, empêchant ainsi le désembarquement des 630 rescapés de l’Aquarius, et des réactions en chaîne des pays européens, Médecins sans frontières accuse les gouvernements européens de marchander des vies humaines et d’obstruer le sauvetage en mer.
« Hommes, femmes et enfants à bord de l’Aquarius ont fui la guerre et la misère, et ils ont vécu l’horreur en Libye. Ils ont été transbordés d’un bateau à l’autre comme de la marchandise, et leur voyage en mer a été inutilement prolongé, dans des conditions très pénibles,” déclare Karline Kleijer, coordinatrice d’urgence pour Médecins sans frontières. “Nous sommes reconnaissants à l’Espagne d’être intervenu au moment où l’Italie et les autres gouvernements européens refusaient d’assumer leurs responsabilités et de faire preuve d’humanité. »
A l’approche du Conseil européen prévu les 28 et 29 juin, MSF appelle les gouvernements européens à faire du sauvetage en mer une priorité. Ils doivent faciliter le désembarquement des rescapés dans les ports européens les plus sûrs et les plus proches, là où les personnes pourront accéder à une prise en charge adéquate, et garantir que ceux qui doivent bénéficier des mécanismes de protection internationale pourront déposer une demande d’asile ou faire valoir leurs droits. Les Etats européens doivent cesser de toute urgence de faire obstacle aux initiatives non-gouvernementales de sauvetage en mer, et mettre en place un dispositif de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale dont l’objectif est de sauver des vies.
En fermant ses ports, l’Italie a joué avec la vie de 630 rescapés
Pendant le week-end du 9 et du 10 juin, le navire de recherche et de sauvetage en mer l’Aquarius, affrété par SOS Méditerranée en partenariat avec MSF, a secouru plus de 200 personnes et en a recueilli 400 autres, transbordées par des navires des garde-côtes italiens. Alors que le sauvetage et le transfert des 630 passagers avait été initié et coordonné par le Centre de coordination des secours maritimes italien (IMRCC), les autorités italiennes ont refusé que l’Aquarius accoste dans le port italien le plus proche, dans un geste de rupture avec les lois internationales et les pratiques prévalant jusqu’alors. Malte, qui disposait du port le plus proche a également refusé le désembarquement de l’Aquarius, en rejetant la responsabilité sur l’Italie.
Le 11 Juin, le gouvernement espagnol est intervenu en offrant à l’Aquarius la possibilité de désembarquer à Valence, 1300 kilomètres plus loin.
MSF a insisté auprès des autorités italiennes, afin qu’elles autorisent l’Aquarius à accoster dans le port le plus sûr et le plus proche, comme le prévoit le droit maritime international. L’ONG a fait valoir les risques qu’un voyage de plus de quatre jours ferait prendre à ses 630 passagers, sur un bateau surchargé, avec des vivres et des possibilités de mise à l’abri limitées.
« Au final, les autorités italiennes sont restées sourdes à nos appels. D’abord, elles ont laissé entendre que MSF pourrait être autorisée à désembarquer les personnes vulnérables. Mais quand nous avons fourni une liste de près de 200 personnes –mineurs non accompagnés ; malades et blessés, femmes enceintes et femmes seules avec enfants-, les autorités italiennes ont dit non. Elles ont ensuite demandé que nous transférions seulement les sept femmes enceintes à bord, mais n’ont pas donné suite quand nous leur avons fait part des problèmes liés à la séparation des familles, et que nous leur avons demandé que ces femmes puissent être au moins accompagnées de leur mari », précise Karline Kleijer.
Le 12 juin, les autorités italiennes ont donné à l’Aquarius l’instruction de transférer 524 personnes sur les navires italiens et de se rendre avec les 106 rescapés restant à Valence.
« Il est scandaleux que les autorités italiennes aient fermé leurs ports à ces 630 rescapés et les ait fait errer en mer inutilement, au nom d’un choix politique », déclare Karline Kleijer. « Même si l’Italie a raison quand elle fait valoir que les gouvernements européens ne prennent pas leur part dans la prise en charge des réfugiés, rien ne justifie le traitement dégradant infligé aux passagers de l’Aquarius. »
Le sort des personnes rescapées ne doit pas faire l’objet d’un bras de fer politique
Aujourd’hui, les gouvernements européens ne cherchent pas à sauver la vie des migrants et des réfugiés en mer. Leur unique obsession est de fermer leurs portes et de renforcer leurs frontières. Ils ont activement soutenu les garde-côtes libyens, afin qu’ils ramènent les personnes interceptées dans les eaux internationales vers la Libye, où elles seront traitées de façon inhumaine et exposées à tous les abus.
Les gouvernements européens doivent reconnaître la nécessité des opérations de recherche et de sauvetage en mer. En 2018, plus de 500 personnes se sont déjà noyées en Méditerranée centrale, en tentant de rejoindre l’Europe à bord d’embarcations précaires.
L’Aquarius est un des derniers navires de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale coordonné par des organisations non-gouvernementales. Il doit continuer à être autorisé à sauver des vies. Du 1er janvier au 8 juin 2018, l’Aquarius avait déjà secouru et/ou transféré 2 350 personnes, toutes sauvées de la noyade. Mais depuis l’année dernière, la capacité des ONG et de la société civile à mener des opérations de recherche et sauvetage en mer a été entravée par la multiplication d’obstacles bureaucratiques, de mesures d’intimidation, et des procédures judiciaires à l’encontre de personnel d’ONG.
Cette campagne de dénigrement et d’intimidation visant les initiatives non gouvernementales en mer doit cesser. Comment expliquer autant d’entraves spectaculaires à la mission de sauvetage de l’Aquarius alors même que le Dicotti, navire des garde-côtes italiens, était autorisé dans le même temps à désembarquer 900 personnes en Italie ?
L’arrivée à Valence marque la fin d’un terrible voyage pour 630 personnes. Maintenant, l’Europe doit s’engager à sauver des vies, et permettre le désembarquement et la prise en charge des rescapés dans des conditions acceptables. Les équipes à bord de l’Aquarius restent quant à elle déterminées à continuer leurs opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale.